Voilà un compositeur, né en 1679 à Louňovice au sud-est de Prague et mort en 1745 à Dresde, qui de son temps jouissait d’un grand respect mais qui peu après son décès est tombé dans l’oubli pendant plus de deux siècles ! Sa redécouverte depuis une trentaine d’années permet progressivement de lui accorder la reconnaissance qui lui est due, au point qu’il est maintenant considéré comme l’un des maîtres de la musique baroque européenne, aux côtés de Bach, Vivaldi, Haendel.
Portrait généralement attribué à Zelenka
Il était le contemporain exact de Johann-Sébastien Bach (1685-1750), alors cantor à la cour de Leipzig, lequel (tout comme Telemann d’ailleurs) le connaissait personnellement et admirait hautement sa musique au point qu’il demandait à son fils Wilhelm-Friedmann, musicien à la cour de Dresde quand Zelenka y était officiellement « compositeur de musique d’église », de lui recopier certaines de ses œuvres. De ce parallèle est né le surnom souvent donné à Zelenka : le « Bach de Dresde », ou encore le « Bach des catholiques »…
Bien des mystères entourent pourtant sa vie comme son Å“uvre, encore aujourd’hui, pour de multiples raisons dont certaines expliquaient déjà sa disparition. On ne connaît même pas son physique, faute de portrait conservé ou authentifié, même si Internet lui en prête plusieurs (principalement celui de cette page), y compris ceux de Telemann et de Fux !
Parmi les raisons de l’oubli dans lequel il a été plongé, on peut citer les interdictions d’accès et d’exécution de ses œuvres imposées après son décès par la Cour de Dresde, l’arrivée de la période classique (qui a aussi fait oublier J-S Bach jusqu’à ce que Mendelssohn le réhabilite bien plus tard), et enfin la deuxième guerre mondiale et ses conséquences géopolitiques. En effet les archives de Dresde ont pour une part été détruites par les bombardements, ou pillées, ou oubliées… et pour une autre part emportées par l’armée rouge). Malgré les efforts de son compatriote Bedrich Smetana pour le faire redécouvrir dans la seconde moitié du XIX siècle, la majorité des compositions de Zelenka sont réapparues aux musicologues après la chute du mur de Berlin et les bouleversements qui s’ensuivirent dans l’Europe de l’est.
Ce n’est qu’en 1980 qu’apparaît un premier enregistrement comprenant une partie de sa musique instrumentale, dirigée par Nicolaus Harnoncourt avec son fameux « Concentus Musicus de Vienne ». Les années 1990 mais surtout le vingt-et-unième siècle confirment et amplifient l’intérêt porté à ce compositeur grâce à des enregistrements toujours plus nombreux et d’excellente qualité interprétative, tandis que les concerts Zelenka se multiplient à travers l’Europe, d’abord dans sa bohème natale (la Tchéquie d’aujourd’hui), puis rapidement en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni, en Australie, au Canada…
C’est désormais le cas en France depuis les années 2000, où les Å“uvres de Jan Dismas Zelenka sont de plus en plus souvent inscrites au répertoire d’orchestres spécialisés dans la musique baroque, et proposées en concert, comme en témoignent notamment certains festivals qui l’ont mis à l’honneur, notamment ceux de Sablé-sur-Sarthe, de Sully-sur-Loire, d’Ambronay et de La Chaise-Dieu. Ce dernier l’a fait chaque année pendant 10 ans (!) grâce à la participation du Collegium Vocale 1704 de Prague et de son directeur Václav Luks, l’un des plus éminents hérauts du renouveau de Zelenka, (avec Paul Dombrecht à la tête de « Il Fondamento » et Adam Viktora et son « Ensemble Inegal »). Bon nombre de ses concerts à La Chaise-Dieu ont été diffusés sur France-Musique et la chaine Mezzo, et sont toujours visibles sur Youtube…
Mais que sait-on de lui ?
On sait en fait très peu de choses de sa vie avant 1704. Fils d’un chanteur et organiste qui lui donna ses premiers enseignements musicaux, Zelenka aurait rapidement reçu une éducation jésuite au Collegium Clementinum (Collège Saint Clément) de Prague. Il y apprend le latin, le grec, l’italien, et améliore ses connaissances en allemand.
En 1709 il joue dans l’orchestre de la cour du gouverneur impérial de Prague, le baron Ludwig Joseph von Hartig, lui-même musicien, puis part en 1710 s’installer à Dresde, distant de 140 Km, cette fois à la cour rayonnante du Prince-Electeur de Saxe Frédéric-Auguste, dit « le Fort ». Il prit là le poste de joueur de violone (ancêtre de la contrebasse) dans l’orchestre princier alors devenu l’un des tout meilleurs d’Europe, et auquel il restera attaché toute sa vie.
De 1716 à 1719, il accompagne le prince-électeur lors de ses voyages en Europe et se confronte aux différents styles baroques du moment, en pleine évolution. Lors de ces séjours à la cour de Vienne il apprend le contrepoint auprès de Johann Joseph Fux (puis l’enseigne), et à Venise il s’approprie le style italien auprès d’Antonio Lotti et d’Alessandro Scarlatti.
Revenu à Dresde en 1719, Zelenka devient l’assistant du maître de chapelle Johann David Heinichen. Ensemble ils sont chargés de composer pour la nouvelle église de la cour du prince, lequel, à l’origine luthérien, est devenu catholique pour pouvoir prétendre au trône de Pologne…
Les plus importantes compositions de cette période sont les 27 Responsoria pro Hebdomada Sancta (ZWV 55) et en musique instrumentale les six sonates en trio (ZWV 181), musique de chambre dont il a été dit que la complexité structurelle ne peut être comparée en cette période qu’à celle de Johann Sebastian Bach.
Au début des années 1720, Zelenka retourne à Prague. En 1723, le Collège Saint-Clément lui commande un mélodrame allégorique, celui de Saint Venceslas « Sub olea pacis et palma virtutis – Sous l’olivier de la paix et le palmier de la vertu » (ZWV 175), à l’occasion des cérémonies officielles du couronnement de l’empereur d’Autriche Charles VI comme roi de Bohême. La représentation de cette Å“uvre d’une durée de 3 heures en présence du couple impérial, en septembre 1723, fut un véritable triomphe. L’effectif nécessaire est considérable en solistes, chÅ“ur, orchestre, danseurs, acteurs, figurants… Elle ne sera jamais reprise !
De retour à Dresde, Zelenka est très actif à la chapelle de la cour, où il remplace fréquemment le Kapellmeister Heinichen, malade. Malgré cela il conservait le salaire d’un simple membre d’orchestre. Quand Heinichen mourut en 1729, Zelenka sollicita à plusieurs reprises le poste laissé vacant. Il lui fut refusé, possiblement parce que le Prince jugeait Zelenka trop traditionnel et qu’il voulait promouvoir l’opéra, devenu à la mode dans sa ville. Ce fut le jeune compositeur d’opéra Johann Adolf Hasse qui obtint le poste. Quelques années plus tard cependant, Zelenka est nommé « compositeur de la cour« , et « Kirchen-Compositeur  » en 1735, avec un salaire substantiellement réévalué.
Ensuite, sa santé déclinante et son implication supposée dans une longue affaire judiciaire nuisirent à son activité de compositeur. Néanmoins, il a laissé de cette période ses œuvres les plus importantes : cinq messes (six étaient programmées…) , dont les trois dites Missae Ultimae (1740-1741) : la Missa Dei Patris (ZWV 19), la Missa Dei Filii (ZWV 20), et la Missa Omnium Sanctorum (ZWV 21).
Il meurt célibataire quelques jours avant Noël 1745, laissant un corpus musical de près de 250 opus, principalement de musique sacrée, notamment 23 messes, 4 requiem, 3 magnificat, 4 Dixit Dominus, trois douzaines de cantates, 18 motets a cappella, et de très nombreux airs, hymnes et psaumes…
Que dire de sa musique ?
Connaisseur à la fois des arts allemand et italien, Zelenka mêle régulièrement dans ses créations les spécificités des deux écoles musicales, dans une vision toute personnelle. De plus il feint volontairement d’ignorer ou de prendre part à une logique « évolutionniste » de son art, et ne dédaigne pas de confronter au sein même de ses œuvres les styles anciens et modernes alors en pleine lutte parmi les compositeurs de son temps.
Cela rend sa musique difficile à classer, et lui façonne un style à la fois complexe et original, d’une surprenante maîtrise de composition et d’une réelle créativité harmonique, à l’image de Bach ou de Telemann pour son temps.
Mais si le « Bach de Dresde » partage avec le génie de Leipzig l’excellente maitrise du contrepoint, l’inspiration de Zelenka est plus passionnée et joyeuse, plus démonstrative, ce qui l’apparente souvent plus à Vivaldi et à Haendel, dont il possédait paraît-t-il nombre de partitions. Ce qui frappe aussi dans sa musique, outre la vitalité rythmique qu’on relève habituellement dans les compositions bohémiennes, c’est son goût pour les tournures mélodiques innovantes et marquantes, et une ambiguïté savamment entretenue entre le majeur et le mineur… D’aucun y repèrent même des airs (pré)mozartiens, comme par exemple dans les magiques Benedictus de la Missa Paschalis (ZWV 7) et de la Missa Divi Xaverii (ZWV 12).
Ses œuvres vocales sont au répertoire du contre-ténor Philippe Jarousski, qui a déclaré en août 2008 au micro de Radio Prague :
« Je trouve que ce qui caractérise la musique de Zelenka, c’est effectivement sa grande rigueur de l’écriture, sa capacité d’écrire d’une façon très riche en polyphonie. Mais j’ai été très surpris par le côté très italien que j’entends assez souvent dans sa musique. Il y a même un air qui me fait penser énormément à Vivaldi. En tout cas ce n’est pas un petit génie. C’est quelqu’un qui a été très longtemps musicien avant d’être compositeur, qui a été en contact avec beaucoup de musique, et qui, après, s’est mis à écrire. Et cela donne effectivement une maturité à son œuvre qui est assez incroyable.»
Alain Largeau
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