Composée en mars-avril 1726 et exécutée pour la première fois le lundi de Pâques 21 avril de la même année, la Missa Paschalis (zwv 7) de Jan-Dismas ZELENKA est la septième des vingt-trois messes (répertoriées de zwv 1 à 23) attribuées à ce compositeur tchèque, toutes écrites à -et pour- la cour catholique de Dresde, alors l’une des plus fastueuses d’Europe, et où régnait un véritable foisonnement artistique, spécialement dans le domaine musical.
Cette messe solennelle, complète, pleine d’enthousiasme et de puissance avec son orchestre chamarré, ses cuivres éclatants et démonstratifs, est représentative des grandes fresques du baroque allemand et autrichien du XVIIIème siècle.
Elle comprend dix-neuf numéros brefs et contrastés, tant par les effets que par les inspirations ou les références stylistiques, que ZELENKA, en maître du contrepoint et de la rhétorique musicale étudiés pendant trois ans à Vienne et à Venise, a su unifier d’un souffle continu.
Les chœurs de style ancien, quasi a capella, dramatiques (Qui tollis, Crucifixus), répondent aux chœurs -et orchestres- concertants, volubiles et aux rythmes parfois effrénés (Kyrie, Cum sancto spiritu, Et resurrexit), entre lesquels les arias des solistes sont autant de respirations… et d’élévations.
Par ses transitions harmoniques discrètes ou au contraire soudaines au cœur d’une écriture paraissant à priori simple et naturelle, le compositeur aime surprendre l’auditeur et faire évoluer sa musique pour l’emmener vers plus de profondeur. Par exemple, pour cette messe de Pâques à la cour de Dresde, fallait-il probablement d’emblée marquer les esprits, et l’introduire par un Kyrie énergique, avec trompettes et timbales, ponctué d’acclamations du chœur. Ce que ZELENKA fit consciencieusement. Sans rupture pourtant, presque insidieusement, il en change rapidement le caractère par une dissonance subtile, de sorte que lorsque les solistes interviennent -une minute seulement après le début du mouvement-, la prière intime prédomine déjà et restitue toute sa signification au Kyrie eleison (« Seigneur, prends pitié »)…
On remarquera particulièrement l’introduction orchestrale progressive et « à emboitements » d’un Gloria enjoué et éclatant, un Domine deus lumineux porté par la soprano, à la fois léger et profond, les harmonies audacieuses du Qui tollis, les arabesques « aspirantes » de l’Amen fugué (repris en conclusion du Credo), mais aussi et surtout un Benedictus angélique et intense, surprenante évocation -par anticipation- des pages les plus sublimes que MOZART écrira cinquante ans plus tard pour la voix de soprano !
SurnommĂ© « le Bach des catholiques », ZELENKA dĂ©montre dans cette messe, comme dans l’ensemble de sa musique sacrĂ©e, gĂ©nĂ©reuse, qu’il a comme son contemporain de Leipzig un incontestable talent pour le contrepoint et les harmonies riches et travaillĂ©es. Mais Ă l’image d’un Marc-Antoine Charpentier quelques dizaines d’annĂ©es plus tĂ´t en France, lui aussi longtemps oubliĂ©, son inspiration est ici nettement plus italienne que chez Bach (voire « haendĂ©lienne » si on se rĂ©fère aux nombreuses Ĺ“uvres que Haendel a composĂ©es dans le style italien), et dĂ©gage de l’œuvre une forme de joyeusetĂ© communicative, Ă©videmment sans rapport avec l’austĂ©ritĂ© luthĂ©rienne…
Cette Missa Paschalis, hors des sentiers battus des musiques sacrées ressassées, fussent-elles indéniablement valeureuses et éternelles, est un magnifique témoignage de ce qu’en Europe le XVIIIème siècle a su produire de musiques baroques, belles, riches et variées, confrontant les styles ancien et nouveau, alors en pleine lutte… avec ZELENKA à leur confluence géographique et temporelles.
Alain Largeau